Dans le cadre de la crise sanitaire en cours, 61 associations ou collectifs de défense des droits des personnes LGBTI+, dont QUAZAR, se sont concertées et ont adressé un courrier inter-associatif à Marlène Schiappa, secrétaire d’État en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Alors que le gouvernement vient de présenter son plan de déconfinement, elles entendent mettre en lumière les graves conséquences sociales et sanitaires de la crise actuelle pour les publics qu’elles accueillent et accompagnent.
Ces 61 associations ou collectifs demandent des réponses précises sur la base :
Du constat des associations implantées sur tout le territoire ; constat qui est alarmant à propos de la très grande vulnérabilité de plusieurs des publics LGBTQI+ qu’elles suivent :
- les personnes LGBTI+, dont les jeunes, vivant dans un cadre familial LGBTIphobe ;
- les personnes trans en outing forcé du fait des procédures de changement d’état civil interrompues;
- les personnes en très grande précarité comme les travailleuses·eurs du sexe qui se retrouvent sans revenus ;
- les personnes demandeuses d’asile LGBTI+, notamment en terme d’hébergement, de moyens financiers, et dans des conditions sanitaires plus qu’incertaines ;
- les séniors LGBTI+ en rupture de liens familiaux.
De l’urgence de mettre en place des mesures de protection, accompagnées de moyens financiers suffisants pour soutenir les publics concernés et les associations de terrain. Suite à l’annonce de premières mesures de Marlène Schiappa, les associations signataires l’interrogent notamment sur le détail du dispositif, sa mise en œuvre et ses limites quant à la pérennisation.
De la nécessité de prendre en compte dans cette phase de déconfinement l’expérience de nos associations en matière de réduction des risques, au regard de notre histoire communautaire dans le cadre de la lutte contre le VIH-SIDA.
Les associations signataires considèrent qu’il est indispensable d’ouvrir l’espace de la gestion de crise au corps social.
L’urgence sociétale est en effet d’impliquer dans la décision publique les actrices et acteurs de la société, dont nos associations, qui au quotidien sont aussi engagées dans la lutte contre cette nouvelle pandémie à Covid-19.
C’est le sens du courrier adressé à Marlène Schiappa dont les associations signataires attendent des réponses circonstanciées.
Texte du courrier
Madame Marlène SCHIAPPA
et de la lutte contre les discriminations
Madame la ministre,
Dans votre courrier du 31 mars, vous avez attiré l’attention des associations organisatrices de Marches des Fiertés et de Festivals LGBTI+ sur la nécessité de reporter les événements programmés d’avril à juillet, en raison de l’épidémie de Covid-19.
Une réponse vous a été adressée le 17 avril par vingt-six associations concernées, vous sollicitant à ce sujet.
Les associations signataires de ce nouveau courrier sont celles mentionnées précédemment, rejointes par des Centres LGBTI+ ou des associations implantées en France ultramarine et métropolitaine. Des organisations à but non lucratif en première ligne au quotidien, à l’instar de bien d’autres, au service solidaire des lesbiennes, gays, bies, trans et intersexes, des plus jeunes aux séniors.
Dans le cadre du confinement actuel, et du déconfinement à venir, nous souhaitons échanger avec vous et vous interpeller au sujet des crises sociale et sanitaire qui impactent nos adhérent·e·s et les publics que nous recevons. Nous en sommes les témoins du fait de notre expérience et du maillage territorial que nous représentons, sans prétention d’exhaustivité.
Au-delà de l’annulation ou du report des événements de ce printemps, et de ceux à venir, nos associations se sont conformées aux mesures de confinement. Nous avons procédé à la fermeture au public de nos locaux -pour celles qui en occupent- et éventuellement procédé à des mesures de chômage partiel pour celles qui ont des salarié·e·s.
Pour résoudre l’impossibilité de l’accueil habituel de nos adhérent·e·s et usager·e·s, nous avons dans un même temps mis en place, à des degrés divers, des dispositifs de veille et de soutien : lignes téléphoniques d’accueil, permanences numériques, ligne d’écoute de soutien pour personnes vivant avec le VIH, le VHC, prepeurs, avec information locale en santé sexuelle, actions ponctuelles ou appuyées d’entraide.
Nos actions s’inscrivent naturellement dans la continuité de l’histoire communautaire LGBTI+ fondée pour une très large partie sur notre vécu de l’épidémie à VIH-SIDA. D’où la nécessité de développer la responsabilité, l’engagement civique, la solidarité au sein de nos associations. Il en résulte l’émergence d’une ligne politique de prévention et de réduction des risques par et au bénéfice des personnes atteintes, souvent à contre-courant des pouvoirs en place.
Les retours de cet engagement de terrain nous permettent aujourd’hui de mettre en lumière des inégalités sociales exacerbées. Les personnes LGBTI+ n’en sont pas épargnées à tel point que la Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Mme Michelle Bachelet, a alerté la communauté internationale sur les vulnérabilités des personnes LGBTI+ face à la crise du Covid-19 et aux mesures de confinement mises en place pour juguler la pandémie. Elle exhorte les gouvernements à prendre sans attendre des dispositions pour protéger les personnes LGBTI+.
Nos expériences respectives mettent en évidence la très grande vulnérabilité de plusieurs des publics que nous accueillons et pour lesquels nous nous mobilisons :
- Les personnes LGBTI+, notamment les jeunes, vivant dans un cadre familial LGBTIphobe : le confinement lié à l’état d’urgence sanitaire exacerbe toutes les formes de violences. Nos associations tentent, avec des moyens souvent limités, de répondre à ces situations d’isolement et de détresse et parfois de mise à la rue.
- Les personnes trans dont les procédures administratives sont suspendues, en particulier celles de changement de prénom ou d’état civil, les exposant encore plus violemment et longuement à un outing forcé. Cette précarité administrative rend difficile de faire valoir leurs droits, ce qui devient dramatique dans un contexte de crise qui affecte les possibilités de travailler, d’avoir des ressources.
- Les personnes en très grande précarité comme les travailleuses·eurs du sexe qui se retrouvent sans revenus du fait du confinement, ce qui les expose à une totale impossibilité de faire face à leurs loyers et leurs dépenses de première nécessité.
- Les personnes demandeuses d’asile LGBTI+, que nos associations accompagnent en temps ordinaire dans leurs démarches se trouvent bloquées dans leurs parcours de demande et aussi dans des situations complexes, notamment en terme d’hébergement, de moyens financiers, et dans des conditions sanitaires plus qu’incertaines.
- Les séniors LGBTI+, qui par leur histoire, sont parfois en rupture des liens familiaux, nécessitant que de nouvelles solidarités amicales, associatives prennent la relève, empêchées à l’heure actuelle.
Quels soutiens financiers sont envisageables pour nos associations qui poursuivent des missions de solidarité dans un contexte d’extrême fragilité ? Au-delà des pertes financières du fait de l’annulation de nos manifestations, pour certaines rémunératrices, il s’agit surtout, aggravé par la crise sanitaire, d’un manque de moyens en faveur des publics vulnérables cités. Il en va du maintien d’un maillage territorial de soutien et d’accompagnement indispensable au respect des droits et à la lutte contre les discriminations.
Nous attendons aussi la diffusion d’instructions claires au sein des administrations afin que les personnes trans ne voient pas leur accès aux droits entravé du fait d’une non-conformité de leur genre à celui assigné à leur naissance.
Par ailleurs, lors du déconfinement, les personnes trans auront-elles l’assurance que leurs procédures entamées avant confinement ne seront pas considérées comme secondaires, vu le retard pris dans les services d’état civil, les parquets et les tribunaux ? Pour pallier ce risque et l’engorgement des tribunaux, nos associations demandent que le changement d’état civil libre et gratuit en faveur des personnes trans, pour lequel elles militent depuis des années, soit mis en place rapidement. Une procédure simplifiée accessible en mairie, comme à l’heure actuelle pour le changement de prénom.
Vendredi 17 avril à l’Assemblée nationale, votre gouvernement s’est opposé aux amendements de plusieurs député·e·s, y compris de votre majorité, en faveur de mesures d’urgence d’hébergement pour ces publics. Une semaine après, jour pour jour, vous annoncez avoir « débloqué 300.000 euros afin de financer 6.000 nuitées d’hôtel pendant le confinement pour « permettre aux jeunes confrontés à de la violence homophobe d’être protégés. » Nous prenons acte de votre décision qui marque un indispensable début de réponse mais nous ne comprenons pas cette valse-hésitation et nous nous interrogeons sur les conditions de mise en œuvre et les limites de ce dispositif.
Nous aimerions savoir comment est géré le guichet d’accès à ce dispositif ? Nos associations, qui représentent un maillage territorial conséquent, ont-elles été intégrées à ce dispositif, permettant aux publics vulnérables que nous accompagnons d’en bénéficier ? Quelles sont les modalités de saisine ? Qui traite la saisine et selon quelles modalités ? Quels sont très exactement les critères d’éligibilité pour les personnes LGBTI+ vulnérables ? Est-ce uniquement un critère d’âge ou bien est-ce le seul critère des violences intrafamiliales à raison de l’orientation sexuelle, de l’identité ou de l’expression de genre des personnes concernées qui en est la boussole ?
Tel qu’exprimé ce plan d’urgence est limité au temps de confinement. Si ce dispositif peut permettre de mettre en sécurité des personnes LGBTI+ vulnérables, nous nous en félicitons. Néanmoins, quelle sortie de dispositif avez-vous envisagée ? Quelle pérennité de prise en charge de ces nouveaux cas avez-vous prévue ? Réponses qui intéressent au plus haut point nos associations, principalement en régions, en quête de solutions pour les situations les plus délicates.
Les associations spécialisées qui leur viennent en aide vous ont alertée à plusieurs reprises sur la situation dramatique qu’elles subissent du fait d’une perte de ressources et de l’impossibilité de faire valoir des droits du fait du cadre légal encadrant leur activité.
Lors des discussions sur le projet de loi de finances rectificatives le rapporteur général a également indiqué que ces personnes « peuvent […] aussi bénéficier de l’aide financière à l’insertion sociale professionnelle. » Or, cette aide n’est réservée qu’à condition d’engagement de sortie d’un parcours de prostitution. Ce qui n’est pas adapté à la volonté et à la situation d’une majorité de travailleuses·eurs du sexe qui, aujourd’hui, se retrouvent sans ressources du fait du confinement. Par ailleurs, peu de personnes y ont eu recours depuis la promulgation de la loi d’avril 2016. Des solutions doivent être engagées sans délai.
Leur mise à l’abri et leur mise hors de portée de l’épidémie sont cruciales. Comme le Défenseur des droits, nous demandons la fermeture de tous les centres de rétention administrative (CRA), foyers de propagation de l’épidémie du fait de la très grande promiscuité, dans des locaux ne permettant pas de pratiquer une distanciation sociale. Nous étendons cette demande au delà de la crise sanitaire en cours, et demandons la fermeture de ces CRA de manière définitive. En qualité d’organisations défendant les droits et la dignité des personnes, l’existence de ces lieux va à l’encontre de ces principes.Par ailleurs, l’accès de ces personnes à l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) est dysfonctionnel. A l’heure actuelle, en pleine crise sanitaire, obligées d’être confiné·e·s, des demandeuses et demandeurs ne disposent d’aucune ressource, ne pouvant utiliser les cartes magnétiques imposées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Certaines de ces personnes sont ainsi dans l’incapacité d’acheter des denrées alimentaires de première nécessité depuis un mois. L’OFII, en raison du confinement, ne peut promettre au mieux un retour à la normale avant le 1er mai. Les tickets services mis en place restent encore inadaptés dans leurs modalités (montant, lieux exclusifs d’utilisation, …).
Quelles solutions et améliorations sensibles pouvez-vous proposer ?
Nous demandons également la régularisation des personnes sans-papiers pour les protéger du Covid-19 et leur faciliter ainsi l’accès à tous les soins.
Enfin, nous avons eu connaissance de plusieurs cas de propos homophobes, pour certains rapportés par les médias, consistant de la part du voisinage à amalgamer le risque de contamination au Covid-19 au fait d’être homosexuel·le. Ces discours considérant les homosexuel·le·s comme potentiellement plus contaminant·e·s renvoient aux heures les plus sombres de l’épidémie de VIH-SIDA.
Nous condamnons fermement ces élucubrations qui attestent d’une sérophobie récurrente. Nous demandons que votre secrétariat d’État prenne sa responsabilité à travers la diffusion d’un message fort de condamnation. Des plaintes ont été déposées. Nous souhaitons qu’elles soient traitées avec diligence et qu’elles fassent l’objet de la plus grande attention des services d’enquête et des parquets concernés.
Nous souhaitons aussi nous assurer de votre détermination quant à la nécessité de mettre en place un plan d’action, dès les premières phases du déconfinement, par le biais d’une campagne d’information, sur les stratégies existantes et les différents outils de prévention contre l’épidémie à VIH en période d’épidémie à Covid-19. La prise en compte des enjeux de santé mentale en faveur des populations LGBTI+, en lien avec ceux de santé sexuelle, sera déterminante lors du déconfinement.
Sur la base de notre histoire et de notre pratique communautaire de la réduction des risques dans la lutte contre le VIH-SIDA, nous tenons aussi à vous faire connaître notre position déterminée en faveur d’un dépistage massif et ciblé de la population qui soit également porté par des non professionnel·le·s de santé. Dépistage accompagné par la suite, d’une prise en charge spécifique des personnes asymptomatiques, ceci dans l’objectif de limiter tout rebond de l’épidémie lors du déconfinement. Il s’agit de faire avec et pour les personnes et de leur donner les moyens d’agir sur leur santé. Une telle démarche, complétée d’autres précautions, nous semble primordiale pour juguler l’épidémie. D’où la nécessité d’une montée en puissance du nombre de tests à effectuer, bien au-delà des chiffres annoncés.
Nos associations doivent pouvoir aussi en bénéficier en nombre, ainsi que de gel hydroalcoolique et de tout moyen nécessaire indispensable à la poursuite de nos actions sociales envers nos publics les plus en besoin, lors de la réouverture de nos activités dans nos locaux.
Il est temps d’ouvrir l’espace de la gestion de crise au corps social. L’urgence sociétale est aujourd’hui d’impliquer dans la décision publique les actrices et acteurs de la société, dont nos associations, qui au quotidien sont engagées dans la lutte contre cette pandémie.
Fidèles à notre histoire communautaire en faveur des libertés publiques, nous tenons à réaffirmer notre ferme opposition à tout pistage de nos données cellulaires via les opérateurs. De tels regroupements de données stigmatisent et mettent en danger les personnes mentionnées précédemment et les publics auprès desquels nous travaillons.
Enfin, sur le plan sanitaire, nos associations attendent des réponses circonstanciées du gouvernement à toutes les questions posées par l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament. Parmi celles-ci, la politique d’acquisition des moyens de protection de la population générale, y compris nos publics, les éventuels risques de pénurie de médicaments, de tests et d’équipements, qui inquiètent fortement les services hospitaliers, les spécialistes et nos associations.
Recevez, Madame la ministre, l’assurance de notre parfaite et distinguée considération.
ACCEPT Toulouse
VALENCE DIVERSITÉ
Soutiens
A VOIX ET A VAPEUR Lyon
ALERTES LGBTQI+ Rodez
COLLECTIF ARCHIVES LGBTQI+ Paris
COLLECTIF LGBTQI+ 276 Rouen
FGL – Forum Gay et Lesbien Lyon
FIERTÉS LILLE PRIDE Lille
FRISSE Lyon
LUNE ET L’AUTRE / Snowgay – Pyrénées Ax-les-Thermes
MOBILISNOO Paris
PRIDE TOULOUSE Toulouse